Documents e-mail d’origine découverts insérés, pliés, à l’intérieur de l’exemplaire de la troisième édition détenu par la British Library, Cendres : l’Histoire oubliée de la Bourgogne (2001) – peut-être dans l’ordre chronologique de révision du tapuscrit d’origine.

Message n° 139

(Pierce Ratcliff)

Sujet s Cendres

Date : 02/12/00 12 : 09

De : Longman@

Formatage d’adresse effacé. Autres détails codés et irrévocablement effacés.

Pierce –

Il n’y a pas de moyen facile de vous annoncer ça. La direction a décidé que nous allions suspendre la publication de votre ouvrage.

Je vais faire mon possible. Peut-être pourrai-je vous trouver une autre maison d’édition, qu’intéresserait un ouvrage de mythes et de légendes médiévaux ?

Je sais que ce ne serait pas pour vous une grosse consolation. Vous avez passé tant d’années à compiler les textes « Cendres » avec la conviction qu’il s’agissait d’authentiques documents historiques. Mais c’est la seule idée qui me vienne à l’esprit pour le moment.

Quand vous serez rentré en Grande-Bretagne, voyons-nous. Allons au restaurant, par exemple. D’accord ?

Amitiés,

— Anna

Message n° 204

(Anna Longman)

Sujet : Projet Cendres

Date : 02/12/00 16 : 28

De : Ngrant@

Formatage d’adresse effacé. Autres détails codés et irrévocablement effacés.

Anna, je vous en prie –

Anna, il faut que vous me laissiez publier. Je sais, nous sommes presque à la limite pour une publication au printemps. Ne décidez pas d’arrêter maintenant. Je vous en prie.

… mais pourquoi *devriez-vous* me laisser continuer ? Les preuves archéologiques en Tunisie se sont totalement effondrées !

Anna, je supplie Isobel de faire recommencer les tests de datation au carbone radioactif sur les articulations métalliques du « golem-messager ». Les résultats que nous avons reçus pourraient être une ERREUR. Je ne crois pas que ces « golems » soient simplement des faux modernes que l’expédition a exhumés des terrains entourant Tunis. Je n’y crois pas une seconde. Ce sont d’authentiques vestiges remontant à la colonie wisigothe de Carthage. Je le *sais* !

Et cependant, comment pourrais-je ne *pas* croire qu’ils sont faux, alors que l’évidence scientifique établit que les pièces en bronze ont été coulées après 1945 ?

Schliemann a découvert Troie en 1871 en fouillant à l’endroit où Homère l’avait située dans l’ILIADE – mais il n’a pas découvert, en la mettant au jour, que Troie, ville de l’âge de bronze, avait été bâtie dans les années 1870 ! Ce qui serait l’équivalent de ce qui nous arrive ici.

Je sais ce que vous allez me dire. Comment avons-nous pu imaginer qu’il s’agissait d’*Histoire* ? Les textes que j’utilise semblent avoir été reclassés, d’« histoire médiévale » qu’ils étaient, en « fiction ». Et mon document, le « Fraxinus », ma seule grande découverte, qui nous raconte que cette Cendres « entendait des voix » venues d’un « Golem de pierre ordinateur » du XVe siècle ? Légendes et élucubrations ! Mensonges invraisemblables et mythes !

Je pars en avion avec Isobel pour aller à bord du bateau de l’expédition, maintenant que nous avons ENFIN obtenu la permission officielle. Quelle dérision ! Je suppose que je n’ai guère de raisons de m’y rendre, mais que voulez-vous que je fasse *d’autre* ? J’ai l’impression d’être en deuil. Isobel, je le sais, a trop de tact pour me dire que je ferais mieux de reprendre l’avion pour la Grande-Bretagne. Au moins, quelques jours passés à admirer les prises de vue du fond de la mer au nord de Tunis, transmises par les caméras sous-marines, devraient me changer les idées, je suppose. Nous pourrions même découvrir une ou deux épaves romaines.

Je n’ai pas dormi.

Anna, j’ai terminé la traduction de l’avant-dernière section du « Fraxinus me fecit ». J’avais une note d’explication que j’avais prévu de joindre à cette partie du manuscrit.

Mais ça n’a plus aucune importance, à présent. Les golems sont des faux. Le manuscrit « Angelotti » est une pure fiction. Les ambiguïtés du « Fraxinus » sont sans objet.

— Pierce

Message n° 140

(Pierce Ratcliff)

Sujet : Cendres

Date : 02/12/00 23 : 01

De : Longman@

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Pierce –

Je ne suis même pas sûre que vous ayez toujours votre site d’une « Carthage wisigothe », là-bas. Qu’en pense Isobel Napier-Grant ?

Ce que vous m’avez dit, jusqu’à présent, c’est que vous espériez que le « Fraxinus » prouverait l’existence d’une colonie wisigothe du XVe dans la région de la Carthage arabe, assez puissante pour monter une croisade contre le sud de l’Europe. Ça, j’aurais pu le gober (en considérant des événements tels que l’incendie de Venise comme une licence poétique) et je crois que j’aurais pu admettre que ces Wisigoths avaient échoué, étaient rentrés à Carthage et qu’on avait perdu tout intérêt pour eux après la chute de la Bourgogne, un peu plus tard cette même année.

Je suppose qu’on peut même imaginer raisonnablement que votre Carthage « wisigothe » a sans doute été tellement affaiblie par cette expédition qu’elle a été envahie par les Maures très peu de temps après, et éradiquée. Ou peut-être les Carthaginois sont-ils rentrés en Espagne pour se perdre dans le chaos de la Reconquista. Et tous ces éléments ont été ignorés pour des raisons de race et de classe.

Mais je ne vois pas *à présent* – si vos textes sont du roman et le « golem-messager » un faux récent basé sur les textes – quelle raison vous pourriez bien avoir de penser que le site de votre Pr Isobel a le moindre rapport avec des Wisigoths !

C’est *fini*, Pierce. Je sais, ça ne fait jamais plaisir, mais regardez les choses en face. Il n’y a pas de livre. Cendres n’est pas de l’histoire, c’est Robin des Bois, Arthur, Lancelot – *de la légende*.

Nous pouvons encore en tirer un documentaire télévisé sur les fouilles du Pr Napier-Grant et ses problèmes avec les autorités tunisiennes ; et je ne vois pas pourquoi vous ne serviriez pas de conseiller littéraire, si le projet aboutit.

Laissez passer plusieurs jours, et commencez à y réfléchir.

Amitiés,

— Anna.

Message n° 205

(Anna Longman)

Sujet : Cendres/Carthage

Date : 04/12/00 11 : 42

De : Ngrant@

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Anna –

Votre dernier message m’est parvenu brouillé – en code informatique : est-ce que vous y aviez attaché un .jpg ? Il est irrémédiablement corrompu ! Faites une autre tentative, je vous répondrai plus tard, beaucoup plus tard – Isobel a besoin de la ligne pendant les quelques heures à venir, au moins.

Je ne suis plus sur le site terrestre, je suis à bord du navire ; c’est une des raisons de l’échec de la transmission. Nous sommes arrivés en hélicoptère ce matin sur le bateau de l’expédition, le HANNIBAL ; nous sommes en mer, à cinq milles nautiques des côtes d’Afrique du Nord.

Surtout, ne répétez rien, sous aucun prétexte, ni à Jonathan Machin, ni à votre médecin de famille, ni à personne, n’en parlez même pas dans votre sommeil.

Isobel vient de me demander de libérer la machine, alors voilà :

Son équipe et elle sont ici depuis septembre, principalement à cause de découvertes faites en juillet et août 1997, par l’équipe de l’Institute for Exploration, du Connecticut. Si vous vous souvenez de ce que la presse en a rapporté, cette expédition a découvert – entre autres choses – cinq épaves romaines, au-dessous de la limite des 1 000 mètres, dans une zone marine située à une trentaine de kilomètres au large de Tunis. (Ils avaient un sous-marin nucléaire de la Marine américaine pour les aider, avec son sonar. Nous employons un équipement de recherche en basses fréquences, de ceux qu’on utilise pour l’exploitation pétrolière.)

Les épaves indiquent que, loin de caboter jusqu’aux côtes de Sicile, des navires marchands remontant à 200 avant J. - C.. suivaient des routes *de pleine mer* pour traverser la Méditerranée. Cette découverte, entre autres, a permis à Isobel de bénéficier de subventions pour venir enquêter ici sur le site terrestre et d’obtenir la permission du gouvernement local pour procéder à des explorations le long de la côte.

Ce qui se passe, c’est que nos ROV[1] nous renvoient des images, également venues des niveaux inférieurs à la marque des 1 000 mètres. Nous avons cru qu’il y avait une erreur de lecture, ils descendent dans des zones côtières peu profondes. Mais ce n’est pas un défaut des instruments, ils émettent VRAIMENT depuis cette profondeur – trop bas pour des plongeurs humains, avec l’équipement limité dont nous disposons ici. Ce qu’ont découvert les ROV, c’est une fosse marine en eaux peu profondes, à une soixantaine de kilomètres au nord-ouest des ruines de l’ancienne Carthage – j’ai failli écrire : des ruines de NOTRE Carthage. Et c’est ce que j’espérais, ce pour quoi je priais, depuis le désastreux rapport de datation au carbone 14.

Nous avons découvert un port avec cinq promontoires. Tout est là, sous la vase, on distingue clairement les limites. J’ai observé des images vertes, optimisées à l’infrarouge, envoyées par d’énormes engins qui plongent dans les eaux troubles, mais je peux vous l’assurer, c’est bien là !

Plus tard –

Anna, c’est incroyable. Isobel en est ébranlée. Nous avons bien découvert Carthage, j’ai toujours pensé que nous pouvions découvrir ma « colonie wisigothe » sur cette côte ; et elle correspond à la description du manuscrit « Cendres », dans le « Fraxinus ». Oh, Anna, je l’ai trouvée. J’ai découvert l’IMPOSSIBLE.

Isobel m’a fait venir pour guider les opérateurs des ROV. J’étais là, devant ces pupitres de machines, l’estomac légèrement retourné (je n’aime pas la mer) avec un croquis rapide de la disposition probable de la Carthage de Cendres, selon ce que j’avais établi à partir du manuscrit. Les grands moments arrivent toujours lorsqu’on est trempé, qu’on a chaud ou qu’on est légèrement malade ; quand on regarde ailleurs, pour ainsi dire. J’essayais de discerner le rempart intérieur, ce mur de la « Citadelle » signalé par les manuscrits.

Nous avons trouvé les murailles, sur l’un des promontoires, et nous avons repéré ce qui était, à l’évidence, une structure. C’est BEL ET BIEN la Carthage gothique, sous les vagues, c’est BIEN ce que décrivent les manuscrits, il faut que je me le répète tout le temps, parce que ce qui est arrivé ensuite est tellement impossible, tellement fracassant dans ses implications, que j’ai l’impression que je ne pourrai plus jamais dormir – j’ai la conviction que, désormais, le reste de ma vie se situera à un moindre niveau, c’est ÇA, c’est ma découverte, ce qui fera entrer mon nom (et celui d’Isobel) dans les livres d’histoire, rien ne pourra jamais plus atteindre un tel sommet.

J’ai fait descendre sur les remparts brisés le ROV qui nous renvoyait par ses instruments des vues de toits et de salles couverts de sédiments, tout cela dans un état qui correspondrait très bien aux ravages d’un séisme. Et j’ai fait tourner le ROV à droite – que se serait-il passé si je n’avais pas fait ça ? La même découverte, je suppose, mais plus tard ; les gens vont décortiquer ces vestiges pendant les quarante ans à venir : tout se passe à nouveau comme pour Howard Carter et Toutankhamon.

J’ai fait virer le ROV à droite et il est entré dans un bâtiment qui avait conservé une partie de son toit. Les techniciens détestent ça. On court toutes sortes de risques de perdre le ROV, je suppose. Dans un bâtiment, et c’était là : une cour et une muraille effondrée – une muraille effondrée AU-DESSUS DE CE QUI AURAIT ÉTÉ LE PORT.

Même Isobel a été d’accord, à ce moment-là : mieux valait perdre le ROV dans la tentative que de ne rien faire. J’ai tout en tête, après le manuscrit « Fraxinus », et c’était là, Anna, il y avait les murs de la salle, et l’escalier qui descendait, et les grandes dalles de pierre taillée qui devaient séparer ces salles les unes des autres.

Je suppose que ça nous a pris six ou huit heures, je sais qu’il y a eu deux relèves de l’équipe des techniciens, Isobel est restée tout le temps avec moi, je ne l’ai pas vue manger, je n’ai rien mangé. Voyez-vous, je savais où ça devait se situer. Nous avons dû passer quatre heures, rien que pour nous orienter – entre des quartiers de roc couverts de vase, couleur de vase, sans RIEN DU TOUT qui rappelle une ville, pour essayer de repérer dans quelle direction avait pu se situer le nord-est avant le séisme, et où, dans ces profondeurs insondables, illuminées par nos lampes électriques, elle pouvait se trouver. La « maison Léofric », je veux dire. Ce que le manuscrit appelle la « maison Léofric » – et son « quadrant nord-est ».

Non, je ne suis pas fou. Je sais que je ne suis pas tout à fait cohérent en ce moment, mais je ne suis pas fou.

Nous avons deux ROV, j’étais prêt à sacrifier celui-ci. Les techniciens l’ont fait doucement descendre, pénétrer, s’enfoncer ; tout le temps à la merci des courants, des thermiques. Leur dextérité me stupéfie, maintenant. Sur le coup, je n’ai même pas remarqué. Les écrans nous apportaient sans cesse des vues tremblotantes de marches, de l’intérieur d’un escalier. Je crois que le moment où Isobel a pleuré, c’est quand les marches de pierre se sont arrêtées, et que l’escalier est devenu un simple boyau de maçonnerie aux parois lisses qui descendait dans le noir, et que nous avons réussi à obtenir un gros plan sur un des murs. Il portait une encoche, pour soutenir la charpente d’un escalier de bois.

Pendant tout ce temps, je n’étais pas sûr de savoir à quel étage de la maison le ROV menait son exploration, les dégâts sont suffisants pour laisser planer le doute – les étages supérieurs constituent à peine une maison ! Et il progressait de salle en salle avec une lenteur et une prudence infinies – on monte d’un étage, on descend d’un autre, on franchit une crevasse – la vase recouvre des ossements, des amphores, des pièces de monnaie ; les gâte-bois ont rongé tous les meubles. Plus bas, toujours plus bas, salle après salle, et aucun moyen de savoir où nous nous trouvions, avec la pression, le froid et les profondeurs.

Quand elle est apparue, c’était juste une salle en ruine comme les autres, tout d’un coup, mais Isobel a poussé un juron à voix haute : elle a immédiatement reconnu la silhouette, d’après la description. J’ai mis une minute à voir de quoi il s’agissait. Les techs n’arrivaient pas à comprendre l’enthousiasme d’Isobel, l’un d’entre eux a même dit « C’est juste une statue, bon Dieu » et là, elle m’est apparue nettement.

Lisez la traduction, Anna ! Voyez ce que dit le « Fraxinus ». Le deuxième golem, le Golem de pierre, a « la forme d’un homme au-dessus et, au-dessous, juste un socle sur lequel on peut s’adonner aux jeux de stratégie ».

Ce que je n’avais pas réellement compris, c’était LA TAILLE du Golem de pierre.

Le torse, la tête et les bras sont gigantesques, trois fois la taille humaine. Quatre ou cinq mètres de haut. Il se dresse là, sous les mers au large de l’Afrique, et il contemple les ténèbres avec des yeux de pierre qui ne voient rien. Il a des traits nord-européens, pas de type berbère, ni subsaharien ; et chaque muscle, chaque tendon, chaque cheveu est gravé dans la pierre.

Je crois que le rabbin avait un sens de l’humour mordant. Je soupçonne que, si le « Fraxinus » nous dit que les golems mobiles ressemblaient au rabbin, le Golem de pierre lui-même est un portrait de ce noble amir wisigoth, Radonic.

La vase masque les couleurs, bien entendu, peint toute chose d’un brun vert uniforme sous les millions de candelas des projecteurs. La pierre elle-même, je pense que c’est du granit ou du grès rouge, d’après la couleur. Je ne peux pas vous parler de la qualité de l’ouvrage. Les articulations de métal, au niveau des bras, des poignets et des mains, semblent être corrodées.

En dessous, il fait corps avec un socle. Pour autant que je peux en juger, le torse se fond sans solution de continuité sur une surface de marbre ou de grès. Des jets d’eau sous pression devraient pouvoir chasser une partie de la vase, mais Isobel et l’équipe filment tout comme des fous, et ils ne toucheront à rien tant que l’ensemble n’aura pas été enregistré, enregistré sans l’ombre d’un doute, au-delà de toute exigence de preuve, sans besoin de preuve, parce que c’est bien ça, c’est LUI, le Golem de pierre, la MACHINA REI MILITARIS de Cendres.

Et je vais vous dire une chose, Anna. Même Isobel n’essaie pas d’imaginer par quelle méthode quelqu’un aurait pu falsifier ÇA.

Ce que je VEUX savoir – ce que je ne peux pas savoir, parce qu’il est hors d’usage et perdu sous la mer depuis cinq cents ans – c’est s’il s’agit bien de la MACHINA REI MILITARIS dont parle le « Fraxinus ». S’agit-il d’une statue de temple, d’une icône religieuse – ça ne peut rien être d’autre, n’est-ce pas, Anna ? Le reste, c’est parce que je n’ai pas dormi depuis je ne me souviens plus combien de temps, que je n’ai rien mangé, que j’ai la tête qui tourne, mais je ne peux pas arrêter d’y penser : s’agit-il VRAIMENT d’un joueur d’échecs mécanique ? S’agit-il VRAIMENT d’une machine tactique ?

Oh, supposez que ce soit plus que ça. Supposez que ce soit VRAIMENT la voix qui lui parlait ?

Par mille mètres de profondeur, dans cette profonde crevasse qu’aurait pu ouvrir un tremblement de terre, dans le froid et le noir, cinq cents ans sous une mer qui a vu bien des guerres depuis lors – des vaisseaux de combat, des avions, des mines ; je ne peux m’empêcher de me demander si la MACHINA REI MILITARIS pourrait gérer une guerre avec plusieurs types de forces ; si Cendres était vivante, que lui dirait-il à présent, s’il AVAIT une voix ?

Isobel a besoin de l’ordinateur, maintenant. Anna, je vous en supplie, vous m’avez dit un jour : si le golem est vrai, qu’y a-t-il d’autre qui le soit ? Eh bien, voilà. Les ruines de la Carthage wisigothe : un site archéologique au fond de la mer. *Des*faux*à*50*milliards*de*dollars*, *ça*n’existe*pas* et c’est ce que celui-ci devrait coûter.

Anna, tout cela confirme l’intégralité de ce que contient le manuscrit « Fraxinus » !

Mais d’où vient l’erreur de la datation au carbone du golem-messager ? À vous de me dire ce qu’il faut en penser, je suis tellement épuisé que je n’en sais rien.

— Pierce

Message n° 143

(Pierce Ratcliff)

Sujets : Cendres

Date : 03/12/00 23 : 53

De : Longman@

Formatage d’adresse effacé. Autres détails cryptés par code personnel non découvert.

Pierce –

Bon Dieu !

Je n’en soufflerai pas un mot, je le jure. Pas avant que l’expédition n’y soit disposée. Oh, Pierce, c’est TELLEMENT ÉNORME ! Je regrette tellement d’avoir douté de vous !

Pierce, il *faut* que vous m’envoyiez la suite de votre traduction du « Fraxinus ». Envoyez-moi le texte. Si nous sommes *deux* à la lire, nous aurons plus de chances d’y trouver des indices, des choses qu’il faut que vous disiez au Pr Napier-Grant. Je ne la laisserai même pas au bureau, je l’emporterai à la maison avec moi – je la garderai en permanence dans mon attaché-case, elle ne sera jamais hors de portée de main !

Et il *faut* que vous acheviez la traduction !!

Amitiés,

— Anna

Message n° 237

(Anna Longman)

Sujet : Cendres/Carthage

Date : 04/12/00 01 : 36

De : Ngrant@

Formatage d’adresse effacé. Autres détails cryptés par code personnel non découvert.

Anna –

Je sais, je sais ! À présent, nous avons plus que jamais besoin du « Fraxinus » ! Mais la dernière partie du « Fraxinus » contient quand même des *problèmes* sur lesquels je ne puis me payer le luxe de fermer les yeux.

J’avais toujours envisagé de joindre une note explicative à l’avant-dernière partie du « Fraxinus », « Le Chevalier de la Désolation ». Même sans les problèmes de golem, de datation au carbone 14 et d’authenticité des manuscrits, « Fraxinus me fecit » se termine quand même en novembre 1476 sur un suspense : il ne nous raconte rien de ce qui s’est passé *après* !

J’ai laissé de côté les dernières pages du manuscrit « Angelotti ». Les navires de Cendres quittent la côte d’Afrique du Nord aux environs du 12 septembre 1476. J’omets un court passage qui traite du retour de l’expédition en Europe continentale. (J’aimerais bien l’inclure dans la version finale du livre. Les détails de la vie quotidienne à bord d’une galère vénitienne sont fascinants !) Leur repli vers Marseille prend environ trois semaines. Je calcule que les bateaux ont quitté Carthage dans la nuit du 10 septembre 1476, et – avec les tempêtes, les erreurs de navigation et une escale à Malte pour charger des vivres et déposer les malades qui seraient morts, sinon – le voyage a duré jusqu’au 30 septembre. Les navires ont donc accosté (durant le dernier quartier de lune) à Marseille.

Il semble, selon le manuscrit « Angelotti », qu’il ait fallu entre trois et quatre jours à la compagnie pour se regrouper, acquérir des mules et des équipements, et se mettre en route vers le nord. Antonio Angelotti consacre une grande partie de son texte à déplorer son canon perdu, qu’il décrit avec un luxe de détails techniques. Il passe nettement moins de temps – deux malheureuses lignes – sur la direction dans laquelle le comte d’Oxford en exil a décidé de reprendre la mer pour partir avec ses propres hommes.

C’est à ce point que le manuscrit « Angelotti » s’interrompt (quelques pages finales manquent au traité « Missaglia »). « Fraxinus me fecit », n’ajoute que quelques vagues phrases : que le pays était désormais en état de crise, à cause de la famine, du froid et de la panique qui vidaient les villes et dévastaient les campagnes.

De toute évidence, du peu que nous pouvons glaner de l’Angelotti, la compagnie a débarqué à Marseille dans des conditions que nous comparerions de nos jours à un hiver nucléaire. Avec Cendres à leur tête, ils ont remonté à marche forcée la vallée du Rhône vers le nord, de Marseille à Avignon, puis toujours plus au nord, jusqu’à Lyon. Voilà qui en dit long sur Cendres, en tant que commandant : avoir réussi à faire progresser des groupes d’hommes en armes sur des centaines de kilomètres avec un contrôle très relâché, dans des conditions météorologiques d’une âpreté sans précédent – une force placée sous un commandement moins efficace aurait été bien plus susceptible de se terrer dans un hameau ou un village de la région de Marseille, en espérant tenir jusqu’à la fin de l’hiver « sans soleil ».

Étant donné leur manque de chevaux et le fait que les paysans affamés avaient dépouillé la région de toutes récoltes et des animaux de trait, voler des navires sur le fleuve était probablement la solution la plus pratique. De plus, dans un territoire où règne un noir d’encre vingt-quatre heures sur vingt-quatre, sans cartes ni guides fiables, suivre la vallée du Rhône assurait au moins que la compagnie ne se perdrait pas irrémédiablement. Une remarque fragmentaire indique qu’ils abandonnèrent la remontée du fleuve juste au sud de Lyon, lorsque le Rhône fut complètement pris par les glaces, et qu’ils poursuivirent à pied en direction de la frontière bourguignonne, en suivant la Saône vers le nord.

N’est pas rapportée la réaction d’aucun duc français face à cette intrusion sur leur territoire. Ils avaient peut-être eux-mêmes fort à faire devant la menace d’une famine, d’une insurrection et d’une guerre. Plus vraisemblablement, dans cette ambiance de nuit d’hiver, ils ne s’aperçurent de rien, tout simplement.

Étant donné la logistique d’une traversée de l’Europe dans les ténèbres par deux cent cinquante hommes, le dos chargé de tous les bagages qu’ils pouvaient porter, et le nombre de survivants affamés qui ont commencé à s’attacher à la compagnie (soit pour échanger des faveurs sexuelles contre de la nourriture, soit pour tenter de les dévaliser) –, étant donné les énormes efforts requis pour maintenir ses hommes sur la bonne route, assurer leur ravitaillement, les empêcher de se mutiner ou simplement de déserter, il n’est sans doute pas surprenant que le « Fraxinus » n’évoque guère d’interactions à un niveau personnel entre Cendres et aucun membre de sa compagnie jusqu’au hiatus qui suit immédiatement leur arrivée devant Dijon.

Nous savons, par le début du manuscrit « Fraxinus », que la compagnie gagna une position très proche de Dijon même, sans se faire repérer par les éclaireurs wisigoths. La compagnie se déplaçait sur des terres cultivées en lisière de la forêt sauvage – ces zones forestières vierges qui, à l’époque, couvraient encore une grande partie de l’Europe. La progression devait être lente, particulièrement s’il fallait transporter armes et bagages, mais elle était sûre. C’était pratiquement la seule façon d’atteindre Dijon à coup sûr sans se faire anéantir par un détachement d’une des armées wisigothes.

Le « Fraxinus » déclare que le périple a exigé presque sept semaines (la période allant du 4 octobre au 14 novembre). Le 14 novembre 1476, donc, Cendres et deux à trois cents de ses hommes en armes, avec mules et intendance, mais sans chevaux ni canons, se trouvent à huit kilomètres à l’ouest de Dijon, juste au sud-ouest de la route principale qui mène à Auxonne.

Anna, je pensais *vraiment* que le manuscrit « Fraxinus » avait été soit dicté, soit écrit, par Cendres elle-même ; j’étais certain qu’il s’agissait d’une source primaire fiable. Maintenant – avec Carthage à 1 000 mètres en dessous de moi ! –, ma conviction est encore PLUS grande !

MAIS – il était inévitable que persiste *un* problème. Voyez-vous, j’avais toujours espéré que la découverte des documents « Fraxinus » m’assurerait une niche dans l’histoire universitaire, comme l’homme qui avait résolu le problème de « l’été disparu ». Cependant, en fait, étant donné les problèmes de dates – certains des exploits de Cendres cadrent bien mieux avec ce que nous savons des événements de 1475 ; d’autres n’ont pu se dérouler qu’en 1476, et les textes les traitent tous comme une série continue d’événements – il se peut bien que ce soit le problème de l’« année et demie disparue » !

Les archives semblent confirmer les combats de Cendres contre les forces de Charles le Téméraire en juin 1475/6. On n’a aucune trace d’elle pendant ce qui semble être l’été 1476 ; elle réapparaît en hiver ; et meurt au combat devant Nancy (5 janvier 1476/7). Il y a quelques semaines qui manquent entre la fin du « Fraxinus » (mi-novembre 1476) et l’endroit où l’histoire conventionnelle retrouve Cendres. (Il faut bien laisser des mystères aux autres chercheurs, après tout !) Le « Fraxinus » s’interrompt brusquement, visiblement incomplet.

Que le « Fraxinus » ne se raccorde pas de façon impeccable avec l’histoire établie ne pose pas de problème.

Le « problème » est que, à l’automne 1476, Charles le Téméraire est occupé par sa campagne de Lorraine, et qu’il assiège Nancy le 22 octobre. Il participe au siège tout au long de novembre et de décembre ; et meurt là-bas, en janvier, en se battant contre les renforts du duc René (une armée de Lorrains et de volontaires suisses).

Je m’attendais au départ à voir cette dernière partie du « Fraxinus » établir que Cendres revenait dans une Europe où l’invasion wisigothe avait échoué et battait en retraite.

Ce n’est pas le cas. Le « Fraxinus » nous décrit *toujours* une forte présence wisigothe en Europe, pendant novembre 1476.

Il montre une France et une Savoie en paix, par traité, avec l’Empire carthaginois ; il présente l’ex-empereur Frédéric III du Saint Empire romain – désormais sous le contrôle de Carthage – commencer à gouverner les cantons suisses en satrape wisigoth, main dans la main avec Daniel de Quesada. Bref, le « Fraxinus » présente tout ce que l’on s’attendrait à trouver si l’invasion wisigothe avait bel et bien *réussi*.

Si nous sommes en 1476, où est passée la guerre de Charles en Lorraine ? Par contre, si nous sommes en 1475, alors ma théorie postulant que l’incursion wisigothe a été oubliée dans l’effondrement de la Bourgogne vole en éclats, puisque cela ne se produira pas avant encore douze mois !

Je peux simplement risquer l’hypothèse que les dates contenues dans ce texte sont des indications profondément fausses, et que je n’ai pas encore tout élucidé.

Je ne sais pas ce qui m’échappe encore, mais j’ai compris une chose, en tout cas : le « Fraxinus » nous a offert Carthage. Isobel dit qu’il est étonnant d’être si vite en mesure d’identifier un site !

Je vous enverrai ma version finale de la dernière section dès que possible – mais comment vais-je pouvoir rester à l’écart des caméras du ROV !!!

C’est *Carthage* que je contemple.

Je n’arrête pas de penser aux « machines sauvages » du « Fraxinus ».

— Pierce.